Paris/Table-ronde/Espèces menacées : Le Gabon se donne de la Voix
Lors d’une table-ronde sur la lutte contre le trafic et le braconnage des espèces menacées organisée à Paris en France le 5 décembre 2013 par le Président français François Hollande et à laquelle ont pris part plusieurs Chefs d’Etats africains, le président gabonais, Ali Bongo Ondimba a, à travers son allocution ci-dessous prononcée du haut de la tribune officielle, réitéré la volonté de son pays à œuvrer dans la préservation des espèces menacées et à lutter contre le braconnage sur tous les fronts.
Excellence, Monsieur le Président De la République Française,
Excellences, Mesdames et Messieurs les Chefs d’État et de Gouvernement,
Distingués invités, en vos rangs et qualités,
Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Président,
Je vous félicite vivement pour l’organisation de cette importante réunion de haut niveau sur le commerce illicite de la faune et de la flore, avec comme cible le braconnage de l’éléphant et des rhinocéros en Afrique.
Cette initiative témoigne de l’ampleur de votre engagement dans la préservation de la qualité de la biodiversité africaine, dont l’un des symboles majeurs, l’éléphant, est actuellement menacé.
En rappel, on estime la valeur du trafic illicite des produits de la faune à 8 milliards € par an. La pêche intensive non déclarée et non réglementée, qui touche particulièrement la côte ouest de l’Afrique, génère autour de 7,5 milliards € par an. En plus, des bateaux de pêche illégaux sont de plus en plus impliqués dans la piraterie et le terrorisme.
Si on y ajoute le commerce illégal du bois, qui engrange près de 5 milliards € par an, aujourd’hui, les différents réseaux de criminalité faunique et forestière mobilisent près de 20 milliards € par an et comptent désormais parmi les cinq plus grands réseaux de commerce illicite, à côté du trafic des stupéfiants, des êtres humains, des produits de contrefaçon et des armes.
Avec le prix de vente de la corne de rhinocéros estimée actuellement à 45.000 € le kilo – et jusqu’à 360.000 € sur le marché noire - et la vente de l’ivoire évaluée à près de 1500 € le kilo, on constate que le braconnage de ces espèces phares est devenu entré dans les réseaux du crime organisé.
En effet, en Afrique aujourd’hui, on constate que les mêmes réseaux qui trafiquent les armes, la drogue et les êtres humains se lancent aussi dans le trafic illicite de la faune et la flore.
L’éléphant de forêt d’Afrique est un animal emblématique. Il joue un rôle capital dans l’écologie de nos forêts, en dispersant les graines de centaines d’espèces de grands arbres, dont beaucoup sont des bois commerciaux précieux. L’éléphant contribue également à la fertilité des forêts en dispersant des minéraux et ainsi à l’accroissement de la productivité, ce qui augmente sensiblement la séquestration du carbone.
Monsieur le Président,
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui, nous sommes à un tournant de l’histoire.
Au cours des 10 dernières années, nous avons perdu jusqu’à 76% de tous les éléphants de forêt en Afrique. Même dans mon propre pays, le Gabon, pourtant l’un des moins touchés, nous avons perdu un tiers de notre troupeau. Malgré cela, le Gabon abrite encore plus de la moitié des éléphants survivants de forêt.
Les bénéfices réalisés par la vente illicite de l’ivoire alimentent des groupes criminels qui ont de vastes réseaux internationaux, qui sont de plus en plus utilisés pour financer des conflits civils et des activités liées au terrorisme. En effet, le trafic illicite des espèces sauvages est souvent lié à d’autres formes de trafic illicite, à la piraterie et au blanchiment d’argent.
Nous avons vu maintes et maintes fois, des braconniers se déplacer dans toute l’Afrique, qui commencent par tuer les rhinocéros et les éléphants, puis s’attaquent au trafic de bois et de minéraux. Enfin, ils plongent dans le vol et le pillage, et finalement ils se transforment en rebelles.
Les pays qui ont perdu lecontrôle de leurs ressources naturelles entrent presque inévitablement dans cette spirale infernale. La criminalité de la faune est devenue une menace sérieuse pour la souveraineté et la stabilité de certains de nos États.
Il est permis de penser que si on avait agi pour arrêter le braconnage des rhinocéros et des éléphants au nord de la République Centrafricaine il y a 35 ans, ce beau pays ne serait peut-être pas dans la situation actuelle !
Aujourd’hui les braconniers n’hésitent pas à tirer sur les gardes de nos aires protégées. En effet, les gestionnaires de la faune dans certains pays sont engagés dans une guerre de brousse aussi intense, redoutable et mortel que tout autre conflit moderne.
L’Afrique ne peut pas prospérer sans ses éléphants. Si nous laissons les criminels et les diverses milices effacer notre patrimoine naturel, nos nations sont appelées à suivre le même chemin. Les pays qui ont en effet perdu leurs éléphants ont souvent ensuite plongé dans la guerre civile. C’est pourquoi, mon gouvernement agit avec détermination pour rétablir l’ordre.
L’année dernière, j’ai fait brûler l’intégralité de notre stock de saisies d’ivoire, pour faire passer le message qu’il n’y a pas de place au Gabon pour un quelconque commerce de l’ivoire et que mon gouvernement a une politique de tolérance zéro pour les crimes contre la faune.
Nous avons renforcé notre Agence Nationale des Parcs Nationaux de manière significative. Nous avons même envoyé l’armée dans les zones les plus dangereuses de nos forêts pour soutenir le personnel des parcs nationaux. Nous allons bientôt adopter une loi qui augmentera de manière significative le régime des pénalités pour les crimes fauniques.
Monsieur le Président,
Excellences, Mesdames, Messieurs,
L’Afrique ne pourra résoudre ce problème seule. La solution est mondiale.
C’est pourquoi cette réunion est si importante pour nous. Si nous voulons que l’éléphant africain survive et avec lui nos industries touristiques, nos parcs et notre culture, nous devons avoir un fort leadership international.
Nous devons travailler avec nos voisins afin de cesser le braconnage transfrontalier ; et nous devons nous mettre en réseau si nous voulons gagner cette guerre contre ces criminels organisés qui sont prêt à tuer nos fils et filles dans leur quête sanglante de l’ivoire. Nos partenaires économiques de l’Est doivent comprendre que nous accueillons leurs entreprises, mais nous ne pouvons pas tolérer l’avidité que certains de leurs citoyens ont envers notre patrimoine naturel.
Aujourd’hui, je demande aux Chefs d’Etat d’Afrique ici rassemblés d’unir les hommes et les femmes qui dirigent nos parcs et les institutions de la faune, afin d’élaborer une stratégie Africaine pour gagner cette guerre. Une fois que cette stratégie sera mise en place nous devrons travailler avec la Banque Africaine de Développement pour créer un fond pour la protection de la faune et la gouvernance environnementale, en soutien à la déclaration de Marrakech du 20 mai 2013.
La Banque Africaine de Développement a en effet lancé, à cette date, un appel à l’action et à l’engagement des gouvernements et d’autres institutions pour combattre le fléau du trafic illicite d’espèces de faune et de flore sauvages.
Aussi je vous invite, Monsieur le Président, à réitérer mon appel de septembre, aux côtés du Président Kikwete et les représentants de nombreux gouvernement, pour la nomination par le Secrétaire Général d’un Envoyé Spécial pour les Crimes fauniques et l’organisation d’un débat de haut niveau conduisant à une résolution de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies sur cette question.
Enfin, j’ai le plaisir d’annoncer que dans le cadre d’un accord de réduction de la dette entre la France et le Gabon, nos deux parties viennent de conclure un projet d’investissement portant sur 10 millions d’euros. Ce projet vise à réduire considérablement le braconnage de l’éléphant sur le territoire gabonais, en apportant un appui financier aux institutions nationales chargées de faire face à cette question. Il s’agit là d’un appui considérable de la France aux efforts du Gabon. Recevez, monsieur le Président, les sincères remerciements du peuple gabonais pour cet appui indispensable.